# CABANES Caen¹⁴ Programme Maitrise d'ouvrage : privée Maitrise d'œuvre : Benjamin Le Roux 2023 <br> - Salut. - Salut. - Tu fais quoi ? - Une cabane. - Ah ouais ? moi j’ai déjà fait une cabane. Je vais t’aider. Passe-moi la tronçonneuse. - Non. - Pourquoi ? - Parce que t’as cinq ans. - six - C’est pareil. - Non. - Tu fais quoi d’ailleurs tout seul dans la forêt ? - Je me promène comme un grand avec mon chien. - Et il est où ton chien ? - Je l’ai perdu. Il doit vouloir faire comme moi. C’est typique des chiens ça. - C’est bien vrai. - Et t’as le droit de construire une cabane ici ? C’est chez toi ? C’est ta forêt ? - Euh… disons que je pense que la notion de propriété est un peu dépassée, et donc discutable. - Parce que dans le PLU1 on est en zone N2 et… - Non mais c’est pas possible t’as pas cinq ans toi ! - six. - Roh c’est pareil ! - Non. - … - Elle est haute quand même ta cabane hein ? - Oui, j’avais envie d’être bien tranquille. - T’as peur des loups ? - Non. - Des ours ? - Non. - Des rats ? - Non ! J’avais juste envie d’être bien tranquille ! Je monte, j’arrive sur ma plateforme, je replie l’échelle, et hop, bien tranquille, tu vois ? En plus je suis au-dessus des arbres. Je vois loin. - Ah oui d’accord. Et tu vas mettre un garde-corps sur ta plateforme ? - Non. - T’as pas peur de tomber et de mourir parce qu’on viendra pas te chercher parce que t’es au beau milieu de nulle part et que personne t’entendra crier et qu’on te retrouvera que dans dix ans tout sec au pied d’un arbre ? - Euh… non ça va. - Ah bon tant mieux. Et maintenant tu fais quoi ? - Alors là je fixe les charnières de la porte cachée qui permettra d’atteindre le mécanisme qui déclenchera le pont levis qui donnera dans la deuxième plateforme camouflée sur l’autre arbre là-bas en face tu vois ? - Ah oui. Toi tu dois faire partie de ces gens qui pensent que la prise de risque, le romanesque, la curiosité, la générosité et la recherche du confort devraient primer sur la prudence, l’efficacité et la performance pour créer de l’étonnement et provoquer l’imaginaire, non ? - Waou… Bin dis comme ça, ça casse un peu le truc, mais ouais, on peut dire ça je crois. - Ah d’accord, d’accord… Et euh, les murs, là, ça va rester comme ça ? - Comment ça ? - Bin comment tu vas traiter la thermique et l’étanchéité à l’air de ton clos couvert ? - Quoi ?! - Comment tu vas isoler ta cabane ? - Mais je ne vais pas l’isoler ! - Hein ?! Mais tu vas aller en prison ! - En prison ? Tu crois ? - Bin oui ! T’écoutes pas la radio ? - Euh non, pas trop. Mais elle ne sera pas chauffée ma cabane. - Ah ?! Mais tu vas pas avoir froid ? - Ah bin si. Un peu, des fois. - Mais… C’est pas grave ?! - Bin, c’est une cabane. - Bin oui mais toi t'as pas de maison et tu vas habiter là tout le temps ? - Bin non j'ai un appart dans le village. - Ah d’accord alors c’est pour la louer 200 € la nuit à des citadins en manque d’authenticité ? - Hein ? Bin non ! - Mais elle te sert à quoi alors ta cabane si elle te rapporte pas de fric et que t’as un appart juste à côté ? il est pas bien ton appart ? - Non. - Bin pourquoi tu l’as acheté alors ? - Parce que sur le panneau du promoteur c’était écrit « ici, appartement de qualité » et j’y ai cru. - Et en fait il est nul. - Voilà oui. - Mais donc si je comprends bien, comme ton appartement est impersonnel, moche, standardisé… - Eh oh oh doucement quand même ! - … et construit avec des matériaux tout pourris qui passeront tout juste la décennale3, tu t’es dit que la solution à tous tes problèmes résidait peut-être dans la construction d’une cabane, qui, en tant que plus petite unité de l'architecture domestique, pourrait, par sa simplicité, sa liberté et sa spontanéité permettre l'expression de certains besoins indispensables que peuvent être la lecture, la cuisine, la sieste, le jeu ou la fête, impossibles à assouvir dans ton T3 en placo avec ses fenêtres en PVC trop petites ? - Ah ! Eh bien… je ne me l’étais jamais formulé ainsi, mais ça me semble assez juste. - Et encore toi t’as un appart. - C’est vrai. - Et ça ne te scandalise pas que ces mêmes promoteurs tentent de rendre romantique une précarité pourtant bien réelle pour des millions de personnes en ventant des « espaces cosy », des « volumes atypiques » ou des hangars « type loft » pour décrire des apparts trop petits, mal foutus et sans lumière naturelle ? - Tu veux pas faire de la politique ? - Bof. La flemme. Et est-ce que tu penses que le fait que tu aies dû acheter un appartement de piètre qualité peut être lié au fait que tu n’occupes pas un poste haut placé dans une grande industrie capitaliste dont le salaire indécent t’aurait permis de t’offrir un logement confortable et respectueux de la biodiversité pour te déculpabiliser de passer tes journées à la détruire ? - Mais attends c’est quoi le programme en maternelle maintenant ? - Je suis en CP. - C’est pareil. - Pas du tout. - Bon et elle était comment ta cabane toi ? - J’ai retourné le canapé. - D’accord, et ? - Et c’est tout. - Hmm… et ce processus t’a permis de t’approprier un espace domestique qui t’était jusqu’ici imposé par tes parents et plus largement par la société dans laquelle nous vivons, c’est ça ? - Non. Juste je me mettais dessous. Avec mon chat. - Ah oui. C’est bien. - Oui. C’est bien. Ah tiens j’entends mon chien là allez salut. - Oui, salut.